Année 2016 chargée, l’abandon à l’UTB 2015 à mi course m’a
incité à augmenter les distances de mes courses préparatoires. C’est donc avec
les Allobroges et le trail des Aravis dans les jambes notamment que je me présente sur la ligne de
départ. Seule une petite alerte à la cheville 15 jours avant la course
m’interdit d‘être pleinement confiant et confirme la nécessité de partir très
prudemment.
Dernier dodo dans le camping à deux pas du départ, 4 heures
samedi matin, il fait doux, beaucoup moins chaud que l’an passé, parfait.
J’entame la première partie à petit rythme, je me fais doubler de tous les
côtés, ça bouchonne assez souvent, mais je m’en fous et dès que les premières
lueurs du jour apparaissent je profite des paysages. Ca va tellement bien que
quand ça monte j’ai l’impression que ça descend tant je suis facile, et
pourtant ça monte souvent, quasiment jusqu’au premier ravitaillement après la
Roche Pourrie :
Vu sur je sais pas quoi depuis les Arolles |
Refuge des Arolles 18km, 1920mD+, 4h04, 345ème
(en 2015 : 3h27)
Je m’attarde un peu sur ce ravitaillement, le temps de
ranger soigneusement ma frontale (Stoots Focus 1), goûter à peu près à tout ce qu’il y a de
mangeable, retrouver mes bâtons avant de repartir. La boisson énergétique au
citron proposée sur ce ravitaillement me fait également envie, un bénévole
assure que c’est une boisson Isostar, un autre de Décathlon, m’enfin peu
importe mettez m’en un bidon.
Le tout en près de 15
minutes ; je vérifie mon « roadbook 25h » qui prévoyait un
passage ici en 3h47, j’ai environ 30 minutes de retard, est-ce grave
docteur ? Bof, ça mérite pas une piquouse, on va continuer dans la même
veine.
La portion qui suit est censée me convenir puisque ça
descend quasiment jusqu’au lac de Saint-Guérin, au 26ème kilomètre,
et que j’aime ça moi, les descentes. Pas moyen de se retenir, je fais gaffe à
ma cheville droite que j’évite de poser vers l’intérieur et je me laisse aller
à dépasser un peu tout en me disant que dès que ça remonte je retrouve un
rythme plus cool.
La célèbre passerelle du lac de Saint-Guérin |
C’est le cas après la passerelle du lac, une longue montée
assez régulière vers le second ravitaillement, où je me souviens avoir commencé
à souffrir l’an passé. Cette année, prudent, je rattrape tout de même quelques
coureurs dans la montée un peu longuette. Plus que 500 mètres de piste, les
spectateurs se font plus nombreux car le ravitaillement est là et j’ai
faim !
Vers la croix du Berger |
Plus efficace ici, moins de 10 minutes me suffisent pour me gaver, tester cette fois de l’hydrixir comme
boisson dans un seul bidon (bof le goût) et je repars tranquillement pour
affronter la plus belle partie du parcours : presque vingt kilomètres entre
2000 et 2600 m qui m’avait vu sombrer totalement en 2015, pris de maux de tête,
de ventre et d’un manque d’énergie déprimant.
J’avance légèrement plus vite que les coureurs autour de
moi, si bien que peu après le lac d’amour je rejoins un coureur à affubler d’un
buff Kikourou : c’est Yves94, il est en préparation pour le grand raid, sans bâtons donc, et il a l’air
en pleine forme. Passer le lac, c’est le col à Tutu qui s’annonce de loin grâce à des banderoles "SAVOIE", il y
a pas mal de spectateurs sur ce passage, ça pousse à ne pas se relâcher. Derrière
le col une courte descente technique avant un sentier relativement facile vers
le refuge de Presset me permet de reprendre un peu de force.
Comme dirait mon neveu : « on n’est pas bien
là ? » C’est en effet la sensation que j’ai à ce moment, les paysages
sont magnifiques mais je ne pense pas à prendre de photos, ou plutôt j’en ai la
flemme, au choix.
Bon j'en ai quand même pris deux ou trois mais pas au meilleur endroit |
Refuge de Presset 38km, 3550D+, 8h45, 246ème (en
2015, 8h15, 152ème)
Pour bouffer en revanche je n’ai pas la flemme : soupe,
jambon, pain, saucisson et fromage y passent gaiement. J’en ai déjà marre des
boissons énergétiques mais il y a heureusement du sirop de menthe, que je
prends très souvent lors de mes entraînements, c’est parfait.
Le point culminant du parcours, le col du grand fond à 2671m
est à quelques encablures du refuge, une fois cette difficulté passée, c’est
quasiment de la descente jusqu’au prochain ravitaillement, de la rigolade.
Sauf que le chemin en balcon creusé dans la neige par les
bénévoles jusqu’à la brèche de Parozan est jugé trop dangereux. Il faut donc
redescendre d’une centaine de mètres juste derrière le col avant de remonter
sous la brèche.
La descente façon luge dans la neige est sympa mais la
remontée dans une neige instable avec des rochers affleurant ne m’inspire pas
confiance, je crains un peu pour ma cheville… Heureusement c’est court et la
brèche arrive vite, c’est maintenant une descente très raide qui nous attend,
faite d’un chemin en lacets très serrés tracé plus ou moins dans les éboulis.
Je suis le rythme de 3 coureurs prudents, ça me parait trop risqué de doubler
ici.
Au milieu de la descente, on entend des cris au-dessus, on
s’arrête et se retourne : « PIERRE !!! PIERRE !!! »
Et là je vois débouler comme une furie un rocher de la
taille d’un ballon de basket, droit sur nous, mais il change de trajectoire à
chaque fois qu’il rebondit sur le sol. Je fais un saut sur le côté pour
l’éviter ce qui me provoque une crampe au mollet, un coureur sous moi se jette
au sol, personne n’a été touché, ouf !
Petite montée d’adrénaline pour le coup, tout le monde accélère
un peu et on n’est pas mécontent de revenir sur un pourcentage de pente plus
faible. Le reste de la descente jusqu’au plan de la Laie est facile mais pas
forcément rapide, enfin on finit par y arriver. A quelques centaines de mètres
du ravitaillement, ma femme et mes 2
filles viennent à ma rencontre, on échange une canette d’Orangina et un petit sandwich contre un bisou. Le
solide passe toujours aussi bien, et l’Orangina quel bonheur !!
Plan de la laie 49km 3898md+ 10h48 213ème
(en 2015 : 10h28 175ème abandon)
Qui a le plus beau couvre-chef ? |
C’est la mi-course et les plus grosses difficultés sont
censées être derrière nous. Je prévois une bonne pause ici, le temps de me
changer entièrement et de recharger ma montre notamment. Ma femme repère en
face de nous une casquette kikourou, c’est Antoine à qui j’ai acheté mes
Lasportiva Akasha, il est en sortie longue prépa Tor des géants et semble très
peu entamé par les presque onze heures d’effort. Quelques minutes après son
départ du ravitaillement, une grosse averse s’abat et tout le monde se réfugie
sous les tentes, des grêlons s’y mettent. J’ai enfilé une veste de pluie que je
gardais en rechange dans le sac d’allègement pour éviter de me refroidir, je
décide de la garder sur moi, en plus de celle que j’ai dans le sac, sait-on
jamais. Une petite accalmie semble survenir, c’est le moment d’y aller, 50
minutes de pause pour le coup je suis frais comme un gardon.
Direction le tunnel du roc au vent, il pleuvine, mais rien
de méchant et j’ai le sentiment d’être chanceux d’avoir pu profiter des tentes
pendant la grosse averse. Ca monte régulièrement sur un sentier facile jusqu’au
tunnel à la sortie duquel on nous promet une superbe vue… sur le brouillard.
J’en rigole avec les bénévoles qui me disent que seuls les tout premier ont
profité de la vue, j’avais qu’à aller plus vite !!
La pluie s’intensifie peu à peu, on entend même des orages
au loin, mais ça ne m’affole pas du tout, dans ma tête je suis persuadé que je
vais passer entre les gouttes. Des bénévoles (ils sont partout !!!)
m’invitent à admirer le lac de la Gittaz en contre bas à travers les nuages,
c’est beeeaaaauuuu ! Tellement beau que je prends une photo, et réajuste
ma veste car ça tombe fort maintenant on dirait non ?
Les écarts entre coureurs commencent à être
conséquents, j’ai un gars en vue devant à 50m, un autre derrière à même
distance. On s’approche du col de la Lauze, quelques grondements de tonnerre
semblent plus proches, un des deux bénévoles présent au col, autour de 2300m
d’altitude, relève mon numéro de dossard et mon heure de passage (16h30) puis
m’annonce : « on arrête la course, pose tes bâtons et
assieds-toi à l’écart, c’est trop dangereux de continuer sur les crêtes, on
attend que ça se calme ».
J’obtempère, la pluie est forte, ce n’est pas le meilleur
endroit pour s’arrêter puisqu’il n’y a rien pour s’abriter, mais pas le choix.
J’enfile mes sur-moufles soi-disant étanches, remonte le col de ma veste jusque
sous le nez et j’attends. Peu à peu d’autres coureurs nous rejoignent, beaucoup
ne respectant pas les consignes des bénévoles de ne pas s’agglutiner et de
s’écarter des bâtons. Le bénévole envoie des nouvelles par talkie-walkie, on
est maintenant une trentaine à cet endroit. Enfin, on est autorisé à repartir,
cela fait 30 minutes, je commençais à avoir froid ! Pour me réchauffer je
repars à fond, et comme j’étais le premier arrêté ici, j’ai envie de repartir
le premier ! Certains coureurs décident d’abandonner et de repartir vers
le plan de la Laie, il y a justement un sentier qui y descend en 3km seulement.
Pour ma part, je me sens très bien, et même si la pluie et le vent compliquent
la course, je vais le plus vite possible. Avec le recul, c’était une mauvaise
idée de se presser ici, j’y ai laissé bêtement des forces. Au pointage
électronique côte 2432, je plains les bénévoles présents dans leur petite tente
2 secondes, mais ils ont pourtant le moral et sont contents de voir quelqu’un,
je file aussitôt, ça descend légèrement jusqu’au col de la Sauce, j’y aperçois
quelques bénévoles encore, je fonce sur eux à bon rythme mais ils me font de
grand geste : en montrant ma gauche ? quoi qu’est-ce qui se
passe ? : « c’est par là, vous ne montez pas sur les crêtes, on a
raccourci la course vous allez redescendre directement à la Gittaz, suivez le
chemin qui descend, vous connaissez ? ». « non mais je vais me
débrouiller… ». Il n’y a pas de quoi se tromper, je visualise à peu près
où je me trouve, tant que le chemin descend c’est que je suis au bon endroit.
La pluie se calme un peu, je suis seul un bon moment, jusqu’à ce qu’un coureur
relais me rattrape et m’annonce qu’on a zappé environ 4 ou 5 km. Il file très
vite devant (il a moins de 10km dans les pattes). En bas d’une descente
particulièrement boueuse, on se retrouve dans une sorte de vallée qu’il faut
suivre jusqu’à la Gittaz, c’est un chemin assez facile où on avance à bon
rythme. Je cours quasiment tout le long et après le mythique chemin du curé, on
commence à apercevoir le hameau de la Gittaz, lieu du prochain ravitaillement.
Hameau de la Gittaz 63km 4869mD+ 145ème
J’ai fait un saut au classement parce que je suis le premier
coureur à avoir bénéficié du parcours de repli, et il y a beaucoup d’abandons,
particulièrement chez les coureurs qui se sont retrouvés en plein dans les orages
et qui ont été refroidi dans tous les sens du terme. Je prends une soupe et
grignote quelques bricoles et je repars à l’assaut du col de la Gittaz, 600
mètres plus haut à avaler en 4km. Sur le papier ce n’est pas bien compliqué,
sauf que je commence à bien souffrir dans les montées. Motivé par la
perspective d’être dans la dernière grosse difficulté du parcours, j’avance
lentement, régulièrement rattrapé par des coureurs plus aguerris. Putain de col
quand même !!! il arrive ou quoi ? Gros coup de mou, j’ai passé le
col, je crois, ça descend même peut-être un peu, mais je suis au ralenti et je
regrette d’avoir trop forcé depuis le col de la Lauze, de ne pas m’être
suffisamment reposé au hameau.
Ici on devrait pouvoir aller vite, mais pffffff |
Il reste un petit 100 mètres de dénivelé pour passer sous le
col de la fenêtre où l’on m’annonce le col du Joly à 3km, ça redonne un peu le
moral, et la perspective d’une bonne pause m’aide à progresser. J’essaie de
trottiner dès que possible, le chemin s’y prête quand même assez souvent, je
n’ai pas trop d’énergie mais aucune douleur, en plus il fait beau et j’aperçois
le col du Joly et très bientôt le massif du Mont-Blanc sous une lumière
magnifique !!
Col du Joly 73km, 5659md+, 17h34, 123ème
Plus que 30km et
800md+, soit un vulgaire trail de région parisienne ! Je suis quand même
bien crevé là, je m’assois une vingtaine de minutes avec une soupe, du coca et
de quoi manger. La nuit va bientôt tomber donc je prépare la frontale, et un
coup d’œil au profil pour voir ce qui m’attends exactement : globalement,
une grosse descente, quelques kilomètres globalement montant et le reste
globalement descendant jusqu’aux Saisies, le dernier ravitaillement 17km plus
loin. Je repars en marchant d’un bon pas sur un chemin facile mais assez vite
une descente glissante vient casser mon rythme, il faut faire très attention où
l’on pose le pied. La nuit tombant peu à peu, j’allume ma lampe pour me
rassurer, les passages qui suivent sont longs et monotones, ça devrait
descendre plus souvent mais ça serait trop facile. Au kilomètre 80, en
trottinant doucement, je me tords la cheville, la douleur est vive et m’oblige
à m’asseoir immédiatement. C’est la merde ! je m’imagine déjà obligé
d’abandonner aux Saisies, je repars inquiet, la douleur encore présente,
j’entends (ou je rêve) ma cheville craquer à chaque pas. J’ose recourir mais
très lentement d’abord, puis j’oublie la douleur qui s’estompe petit à petit…
Les Saisies se font désirer, je pensais être capable d’aller
un peu plus vite sur cette portion, mais la fatigue désormais dicte sa loi, et
en arrivant au ravitaillement, l’envie de dormir aussi…
Les Saisies, 90km, 6081md+, 20h42, 92ème
La salle du ravitaillement est surchauffée et c’est tant
mieux, je m’installe illico sur une chaise et avale une soupe. Je me rends
compte que depuis le col du Joly, plus de 3h avant, je n’ai bu que l’équivalent
de 25 cl de sirop de menthe environ, et je n’ai rien mangé sur cette portion.
Mais dans l’immédiat, je n’ai envie de rien d’autre que de rester assis sans
bouger, fermant les yeux par intermittence. Je discute brièvement avec un jeune
coureur qui semble fatigué également. Il porte un t-shirt de l’Echappée Belle,
qu’il a déjà terminé en 2014 et à laquelle il participera à nouveau cette
année, on s’y recroisera peut-être…
Il me faut près de 30
minutes pour trouver la force de me relever, j’ai la dalle désormais ! je
mange un peu de tout, remplis mes poches de saucisson et je me décide à
repartir pour en finir !
300m pour gravir le Mont Bisanne, je ne battrai pas de
record de vitesse ici mais la forme revient indéniablement, et lorsque la pente
s’inverse, je recours avec plaisir. Le dernier pointage électronique à la croix
de Coste marque le début de la dernière descente jusqu’à l’arrivée : 1300m
de dénivelé négatif sur 8 km.
8 petits kilomètres que je dévale littéralement, lampe frontale au maximum, j’ai
l’impression de courir comme à l’entraînement, ne ressentant aucune douleur
nulle part. Je rattrape quelques coureurs sur cette portion, limite euphorique et simplement ralenti par la nécessité de
changer la batterie de ma lampe (encore merci au coureur qui m’a éclairé
pendant la manipulation). L’arche d’arrivée est franchie avec la sensation de
pouvoir continuer des heures sur le même rythme, c’est inespéré.
Arrivé en 23h38 (88ème) en tenant compte des 30
minutes rajoutées par l’organisation pour compenser le parcours de repli.
Le temps m’importe peu de toute façon, je suis simplement
ravi d’avoir terminé avec le sentiment d’avoir plutôt bien gérer au moins la
première moitié. J’ai ma revanche sur 2015 !
Au final, je n'aurai donc effectué "que" 99.8km, il me faudra donc revenir pour compléter cette magnifique course...
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