mercredi 3 août 2016

Ultra Trail du Beaufortain 105km 6400D+

Année 2016 chargée, l’abandon à l’UTB 2015 à mi course m’a incité à augmenter les distances de mes courses préparatoires. C’est donc avec les Allobroges et le trail des Aravis dans les jambes  notamment que je me présente sur la ligne de départ. Seule une petite alerte à la cheville 15 jours avant la course m’interdit d‘être pleinement confiant et confirme la nécessité de partir très prudemment.
Dernier dodo dans le camping à deux pas du départ, 4 heures samedi matin, il fait doux, beaucoup moins chaud que l’an passé, parfait. J’entame la première partie à petit rythme, je me fais doubler de tous les côtés, ça bouchonne assez souvent, mais je m’en fous et dès que les premières lueurs du jour apparaissent je profite des paysages. Ca va tellement bien que quand ça monte j’ai l’impression que ça descend tant je suis facile, et pourtant ça monte souvent, quasiment jusqu’au premier ravitaillement après la Roche Pourrie :
Vu sur je sais pas quoi depuis les Arolles
Refuge des Arolles 18km, 1920mD+, 4h04, 345ème (en 2015 : 3h27)
Je m’attarde un peu sur ce ravitaillement, le temps de ranger soigneusement ma frontale (Stoots Focus 1), goûter à peu près à tout ce qu’il y a de mangeable, retrouver mes bâtons avant de repartir. La boisson énergétique au citron proposée sur ce ravitaillement me fait également envie, un bénévole assure que c’est une boisson Isostar, un autre de Décathlon, m’enfin peu importe mettez m’en un bidon.
 Le tout en près de 15 minutes ; je vérifie mon « roadbook 25h » qui prévoyait un passage ici en 3h47, j’ai environ 30 minutes de retard, est-ce grave docteur ? Bof, ça mérite pas une piquouse, on va continuer dans la même veine.
La portion qui suit est censée me convenir puisque ça descend quasiment jusqu’au lac de Saint-Guérin, au 26ème kilomètre, et que j’aime ça moi, les descentes. Pas moyen de se retenir, je fais gaffe à ma cheville droite que j’évite de poser vers l’intérieur et je me laisse aller à dépasser un peu tout en me disant que dès que ça remonte je retrouve un rythme plus cool.

La célèbre passerelle du lac de Saint-Guérin
C’est le cas après la passerelle du lac, une longue montée assez régulière vers le second ravitaillement, où je me souviens avoir commencé à souffrir l’an passé. Cette année, prudent, je rattrape tout de même quelques coureurs dans la montée un peu longuette. Plus que 500 mètres de piste, les spectateurs se font plus nombreux car le ravitaillement est là et j’ai faim !
Cormet d’Arêches 32km, 2845md+, 6h51, 305ème (en 2015 6h04 147eme)
Vers la croix du Berger
Plus efficace ici, moins de 10 minutes me suffisent pour me  gaver, tester cette fois de l’hydrixir comme boisson dans un seul bidon (bof le goût) et je repars tranquillement pour affronter la plus belle partie du parcours : presque vingt kilomètres entre 2000 et 2600 m qui m’avait vu sombrer totalement en 2015, pris de maux de tête, de ventre et d’un manque d’énergie déprimant.
J’avance légèrement plus vite que les coureurs autour de moi, si bien que peu après le lac d’amour je rejoins un coureur à affubler d’un buff Kikourou : c’est Yves94, il est en préparation pour le  grand raid, sans bâtons donc, et il a l’air en pleine forme. Passer le lac, c’est le col à Tutu qui s’annonce de loin grâce à des banderoles "SAVOIE", il y a pas mal de spectateurs sur ce passage, ça pousse à ne pas se relâcher. Derrière le col une courte descente technique avant un sentier relativement facile vers le refuge de Presset me permet de reprendre un peu de force.
Comme dirait mon neveu : « on n’est pas bien là ? » C’est en effet la sensation que j’ai à ce moment, les paysages sont magnifiques mais je ne pense pas à prendre de photos, ou plutôt j’en ai la flemme, au choix.


Bon j'en ai quand même pris deux ou trois mais pas au meilleur endroit
Refuge de Presset 38km, 3550D+, 8h45, 246ème (en 2015, 8h15, 152ème)
Pour bouffer en revanche je n’ai pas la flemme : soupe, jambon, pain, saucisson et fromage y passent gaiement. J’en ai déjà marre des boissons énergétiques mais il y a heureusement du sirop de menthe, que je prends très souvent lors de mes entraînements, c’est parfait.  
Le point culminant du parcours, le col du grand fond à 2671m est à quelques encablures du refuge, une fois cette difficulté passée, c’est quasiment de la descente jusqu’au prochain ravitaillement, de la rigolade.
Sauf que le chemin en balcon creusé dans la neige par les bénévoles jusqu’à la brèche de Parozan est jugé trop dangereux. Il faut donc redescendre d’une centaine de mètres juste derrière le col avant de remonter sous la brèche.
La descente façon luge dans la neige est sympa mais la remontée dans une neige instable avec des rochers affleurant ne m’inspire pas confiance, je crains un peu pour ma cheville… Heureusement c’est court et la brèche arrive vite, c’est maintenant une descente très raide qui nous attend, faite d’un chemin en lacets très serrés tracé plus ou moins dans les éboulis. Je suis le rythme de 3 coureurs prudents, ça me parait trop risqué de doubler ici.
Au milieu de la descente, on entend des cris au-dessus, on s’arrête et se retourne : « PIERRE !!! PIERRE !!! »
Et là je vois débouler comme une furie un rocher de la taille d’un ballon de basket, droit sur nous, mais il change de trajectoire à chaque fois qu’il rebondit sur le sol. Je fais un saut sur le côté pour l’éviter ce qui me provoque une crampe au mollet, un coureur sous moi se jette au sol, personne n’a été touché, ouf ! 
Petite montée d’adrénaline pour le coup, tout le monde accélère un peu et on n’est pas mécontent de revenir sur un pourcentage de pente plus faible. Le reste de la descente jusqu’au plan de la Laie est facile mais pas forcément rapide, enfin on finit par y arriver. A quelques centaines de mètres du ravitaillement, ma femme et mes 2  filles viennent à ma rencontre, on échange une canette d’Orangina  et un petit sandwich contre un bisou. Le solide passe toujours aussi bien, et l’Orangina quel bonheur !!  
Plan de la laie 49km 3898md+ 10h48 213ème (en 2015 : 10h28 175ème abandon)
Qui a le plus beau couvre-chef ?
C’est la mi-course et les plus grosses difficultés sont censées être derrière nous. Je prévois une bonne pause ici, le temps de me changer entièrement et de recharger ma montre notamment. Ma femme repère en face de nous une casquette kikourou, c’est Antoine à qui j’ai acheté mes Lasportiva Akasha, il est en sortie longue prépa Tor des géants et semble très peu entamé par les presque onze heures d’effort. Quelques minutes après son départ du ravitaillement, une grosse averse s’abat et tout le monde se réfugie sous les tentes, des grêlons s’y mettent. J’ai enfilé une veste de pluie que je gardais en rechange dans le sac d’allègement pour éviter de me refroidir, je décide de la garder sur moi, en plus de celle que j’ai dans le sac, sait-on jamais. Une petite accalmie semble survenir, c’est le moment d’y aller, 50 minutes de pause pour le coup je suis frais comme un gardon.
Direction le tunnel du roc au vent, il pleuvine, mais rien de méchant et j’ai le sentiment d’être chanceux d’avoir pu profiter des tentes pendant la grosse averse. Ca monte régulièrement sur un sentier facile jusqu’au tunnel à la sortie duquel on nous promet une superbe vue… sur le brouillard. J’en rigole avec les bénévoles qui me disent que seuls les tout premier ont profité de la vue, j’avais qu’à aller plus vite !!
La pluie s’intensifie peu à peu, on entend même des orages au loin, mais ça ne m’affole pas du tout, dans ma tête je suis persuadé que je vais passer entre les gouttes. Des bénévoles (ils sont partout !!!) m’invitent à admirer le lac de la Gittaz en contre bas à travers les nuages, c’est beeeaaaauuuu ! Tellement beau que je prends une photo, et réajuste ma veste car ça tombe fort maintenant on dirait non ?
Les écarts entre coureurs commencent à être conséquents, j’ai un gars en vue devant à 50m, un autre derrière à même distance. On s’approche du col de la Lauze, quelques grondements de tonnerre semblent plus proches, un des deux bénévoles présent au col, autour de 2300m d’altitude, relève mon numéro de dossard et mon heure de passage (16h30) puis m’annonce :  « on arrête la course, pose tes bâtons et assieds-toi à l’écart, c’est trop dangereux de continuer sur les crêtes, on attend que ça se calme ».
J’obtempère, la pluie est forte, ce n’est pas le meilleur endroit pour s’arrêter puisqu’il n’y a rien pour s’abriter, mais pas le choix. J’enfile mes sur-moufles soi-disant étanches, remonte le col de ma veste jusque sous le nez et j’attends. Peu à peu d’autres coureurs nous rejoignent, beaucoup ne respectant pas les consignes des bénévoles de ne pas s’agglutiner et de s’écarter des bâtons. Le bénévole envoie des nouvelles par talkie-walkie, on est maintenant une trentaine à cet endroit. Enfin, on est autorisé à repartir, cela fait 30 minutes, je commençais à avoir froid ! Pour me réchauffer je repars à fond, et comme j’étais le premier arrêté ici, j’ai envie de repartir le premier ! Certains coureurs décident d’abandonner et de repartir vers le plan de la Laie, il y a justement un sentier qui y descend en 3km seulement. Pour ma part, je me sens très bien, et même si la pluie et le vent compliquent la course, je vais le plus vite possible. Avec le recul, c’était une mauvaise idée de se presser ici, j’y ai laissé bêtement des forces. Au pointage électronique côte 2432, je plains les bénévoles présents dans leur petite tente 2 secondes, mais ils ont pourtant le moral et sont contents de voir quelqu’un, je file aussitôt, ça descend légèrement jusqu’au col de la Sauce, j’y aperçois quelques bénévoles encore, je fonce sur eux à bon rythme mais ils me font de grand geste : en montrant ma gauche ? quoi qu’est-ce qui se passe ? : « c’est par là, vous ne montez pas sur les crêtes, on a raccourci la course vous allez redescendre directement à la Gittaz, suivez le chemin qui descend, vous connaissez ? ». « non mais je vais me débrouiller… ». Il n’y a pas de quoi se tromper, je visualise à peu près où je me trouve, tant que le chemin descend c’est que je suis au bon endroit. La pluie se calme un peu, je suis seul un bon moment, jusqu’à ce qu’un coureur relais me rattrape et m’annonce qu’on a zappé environ 4 ou 5 km. Il file très vite devant (il a moins de 10km dans les pattes). En bas d’une descente particulièrement boueuse, on se retrouve dans une sorte de vallée qu’il faut suivre jusqu’à la Gittaz, c’est un chemin assez facile où on avance à bon rythme. Je cours quasiment tout le long et après le mythique chemin du curé, on commence à apercevoir le hameau de la Gittaz, lieu du prochain ravitaillement.
Hameau de la Gittaz 63km 4869mD+ 145ème
J’ai fait un saut au classement parce que je suis le premier coureur à avoir bénéficié du parcours de repli, et il y a beaucoup d’abandons, particulièrement chez les coureurs qui se sont retrouvés en plein dans les orages et qui ont été refroidi dans tous les sens du terme. Je prends une soupe et grignote quelques bricoles et je repars à l’assaut du col de la Gittaz, 600 mètres plus haut à avaler en 4km. Sur le papier ce n’est pas bien compliqué, sauf que je commence à bien souffrir dans les montées. Motivé par la perspective d’être dans la dernière grosse difficulté du parcours, j’avance lentement, régulièrement rattrapé par des coureurs plus aguerris. Putain de col quand même !!! il arrive ou quoi ? Gros coup de mou, j’ai passé le col, je crois, ça descend même peut-être un peu, mais je suis au ralenti et je regrette d’avoir trop forcé depuis le col de la Lauze, de ne pas m’être suffisamment reposé au hameau.

Ici on devrait pouvoir aller vite, mais pffffff
Il reste un petit 100 mètres de dénivelé pour passer sous le col de la fenêtre où l’on m’annonce le col du Joly à 3km, ça redonne un peu le moral, et la perspective d’une bonne pause m’aide à progresser. J’essaie de trottiner dès que possible, le chemin s’y prête quand même assez souvent, je n’ai pas trop d’énergie mais aucune douleur, en plus il fait beau et j’aperçois le col du Joly et très bientôt le massif du Mont-Blanc sous une lumière magnifique !!

Col du Joly 73km, 5659md+, 17h34, 123ème
 Plus que 30km et 800md+, soit un vulgaire trail de région parisienne ! Je suis quand même bien crevé là, je m’assois une vingtaine de minutes avec une soupe, du coca et de quoi manger. La nuit va bientôt tomber donc je prépare la frontale, et un coup d’œil au profil pour voir ce qui m’attends exactement : globalement, une grosse descente, quelques kilomètres globalement montant et le reste globalement descendant jusqu’aux Saisies, le dernier ravitaillement 17km plus loin. Je repars en marchant d’un bon pas sur un chemin facile mais assez vite une descente glissante vient casser mon rythme, il faut faire très attention où l’on pose le pied. La nuit tombant peu à peu, j’allume ma lampe pour me rassurer, les passages qui suivent sont longs et monotones, ça devrait descendre plus souvent mais ça serait trop facile. Au kilomètre 80, en trottinant doucement, je me tords la cheville, la douleur est vive et m’oblige à m’asseoir immédiatement. C’est la merde ! je m’imagine déjà obligé d’abandonner aux Saisies, je repars inquiet, la douleur encore présente, j’entends (ou je rêve) ma cheville craquer à chaque pas. J’ose recourir mais très lentement d’abord, puis j’oublie la douleur qui s’estompe petit à petit…
Les Saisies se font désirer, je pensais être capable d’aller un peu plus vite sur cette portion, mais la fatigue désormais dicte sa loi, et en arrivant au ravitaillement, l’envie de dormir aussi…
Les Saisies, 90km, 6081md+, 20h42, 92ème
La salle du ravitaillement est surchauffée et c’est tant mieux, je m’installe illico sur une chaise et avale une soupe. Je me rends compte que depuis le col du Joly, plus de 3h avant, je n’ai bu que l’équivalent de 25 cl de sirop de menthe environ, et je n’ai rien mangé sur cette portion. Mais dans l’immédiat, je n’ai envie de rien d’autre que de rester assis sans bouger, fermant les yeux par intermittence. Je discute brièvement avec un jeune coureur qui semble fatigué également. Il porte un t-shirt de l’Echappée Belle, qu’il a déjà terminé en 2014 et à laquelle il participera à nouveau cette année, on s’y recroisera peut-être…
 Il me faut près de 30 minutes pour trouver la force de me relever, j’ai la dalle désormais ! je mange un peu de tout, remplis mes poches de saucisson et je me décide à repartir pour en finir !
300m pour gravir le Mont Bisanne, je ne battrai pas de record de vitesse ici mais la forme revient indéniablement, et lorsque la pente s’inverse, je recours avec plaisir. Le dernier pointage électronique à la croix de Coste marque le début de la dernière descente jusqu’à l’arrivée : 1300m de dénivelé négatif sur 8 km.
8 petits kilomètres que je dévale littéralement, lampe frontale au maximum, j’ai l’impression de courir comme à l’entraînement, ne ressentant aucune douleur nulle part. Je rattrape quelques coureurs sur cette portion, limite euphorique et simplement ralenti par la nécessité de changer la batterie de ma lampe (encore merci au coureur qui m’a éclairé pendant la manipulation). L’arche d’arrivée est franchie avec la sensation de pouvoir continuer des heures sur le même rythme, c’est inespéré.
Arrivé en 23h38 (88ème) en tenant compte des 30 minutes rajoutées par l’organisation pour compenser le parcours de repli.
Le temps m’importe peu de toute façon, je suis simplement ravi d’avoir terminé avec le sentiment d’avoir plutôt bien gérer au moins la première moitié. J’ai ma revanche sur 2015 !
Au final, je n'aurai donc effectué "que" 99.8km, il me faudra donc revenir pour compléter cette magnifique course...


      

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